Et si on réfléchissait avant de prendre la parole ? 💬
Un contenu éditorial efficace, c’est d’abord une bonne stratégie.
Cette semaine, c’est Xavier, planneur stratégique et directeur conseil chez Rédactographe, qui prend la parole 👋
Le contenu éditorial est aussi vieux que le marketing.
En 1900, à chaque achat de pneumatiques, Michelin offrait un guide comportant une liste de garagistes, médecins et autres adresses. Rings a bell ? Probablement la première opération de fidélisation à grande échelle construite autour d’un contenu éditorial. Vous connaissez la suite de l’histoire, l’opération a fait son petit bout de chemin.
Le monde a changé depuis (vous avez remarqué vous aussi ?). Le Guide Michelin est devenu payant (en 1920), le nombre de canaux de diffusion a explosé - de la télévision linéaire à Netflix, du site web à Twitch, de la radio au podcast, la crise sanitaire a accéléré la digitalisation du business et de l’éducation. Et mon voisin a profité des confinements pour se faire construire une piscine. J’y reviendrai. Peut-être. Pas.
Le monde a changé donc mais une seule chose ne change pas. Une seule chose n’a jamais changé. Les gens - vos cibles, vos clients, consommateurs d’hier ou consom’acteurs d’aujourd’hui - n’ont pas de temps à vous consacrer ni une capacité d’attention infinie. C’est navrant mais c’est la réalité. Et le contenu éditorial n’échappe pas à cette réalité. Il ne suffit pas de parler pour que les gens vous écoutent. Pourquoi devraient-ils vous accorder une part de leur attention ? Parce que vous parlez plus fort que les autres ? Parce que ce que vous racontez sur votre excellent produit est objectivement intéressant ? Ça ne suffit pas. Émerger est une gageure dans un contexte de forte concurrence, où tout le monde parle et personne n’écoute. Quel que soit le marché sur lequel votre entreprise évolue.
Dans sa préface à l’excellent livre « Les nouveaux défis du Brand Content » (Thomas Jamet, Pearson, 2018), le publicitaire Olivier Altmann résume parfaitement les deux enjeux majeurs, qui sont pour moi ceux du contenu éditorial aujourd’hui : « se rapprocher de sa cible pour faire intimement partie de son univers », [créer] « un échange entre une marque apte à construire une relation émotionnelle avec son public et un consommateur […] sans sentir la pesanteur d’une pression commerciale ».
L’ambition est là. Elle dépasse le simple opportunisme commercial. Elle fait du contenu éditorial un levier de création de valeur pour l’entreprise et un outil de déploiement de la marque cohérent dans la durée. Elle impose de disposer d’une vision globale sur ce qu’on veut dire de son entreprise et la nature de la relation que l’on veut nouer avec ses clients. Structurer avant de produire. Penser avant de parler. La stratégie avant l’action.
Au fait, c’est quoi la stratégie ? 🤔
Inscrire le contenu éditorial dans le temps
Oui, me direz-vous, mais moi je n’ai pas de temps à perdre, mon site web est prêt à être en ligne, il me faut du contenu et vite, en plus, j’ai une promo en ce moment. Certes, vous répondrai-je, mais le contenu éditorial n’est pas un coup tactique.
En vous engageant dans une démarche éditoriale, vous engagez votre entreprise dans une relation (de confiance) durable avec vos audiences. Chacun des contenus que vous publierez seront une occasion de montrer votre entreprise, votre marque, votre offre différemment. Cela mérite bien d’accorder autant d’énergie intellectuelle à la structuration de vos contenus que celle que vous avez déployée pour créer votre logo ou votre site web.
Dans son livre « Dix considérations sur le temps », la physicienne et philosophe suédoise Bodil Jönsson – quelqu’un payé pour penser - souligne que nous ne pensons pas plus vite aujourd’hui qu’il y a cent ou mille ans. Penser prend du temps. Prenez le temps pour raffiner votre stratégie de communication. Pas juste entre deux appels de vos clients. Il n’y a pas de contradiction entre penser à long terme et planifier les coups tactiques. Prendre le temps de travailler votre stratégie de communication en amont vous fera avant tout gagner du temps sur vos choix en termes de prise de parole au quotidien – liste non exhaustive : quels messages ? à qui je m’adresse ? que pensent-ils ? où seront-ils les plus réceptifs ? Et surtout, pourquoi voudraient-ils m’écouter ?
Écouter leur problème avant d’essayer de le résoudre
🎯 Si vous voulez que vos cibles s’intéressent à ce que vous leur dites, le contenu éditorial doit les aider dans leur processus décisionnel au moment où ils en ont le plus besoin. S’occuper de l’expérience client devrait commencer par travailler sur les douleurs qui la dégradent ou la compromettent, celles que les Anglo-Saxons, grands spécialistes du sujet, appellent pain points. Autrement dit, définissez le problème. Leur problème. Pas le vôtre. Ce n’est pas d’un problème business dont on parle mais bien d’un problème humain (toujours pas le vôtre, le leur).
Comme l’a dit un jour le chef du département d’ingénierie industrielle de l’université de Yale (non, ce n’est pas Einstein) :
« Si j’avais seulement une heure pour résoudre un problème, je passerais cinquante-cinq minutes à tenter de définir quel est le problème. »
Pour cela, le meilleur conseil qu’on puisse donner à une entreprise qui s’engage dans une démarche éditoriale serait donc de commencer par comprendre les gens auxquels elle s’adresse, ce qui peut les intéresser, leurs attentes, leurs préoccupations.
👂 Écoutez-les bien, écoutez-les mieux, le rôle de votre communication (ce que vous voulez que les gens fassent après avoir été exposés à votre contenu) en sera d’autant plus clair et vous saurez comment leur parler. La pertinence de votre contenu se mesurera à sa capacité à changer le comportement de vos cibles.
Il vous faudra chercher des sources pertinentes, observer, écouter, interroger les gens qui ne vous aiment pas, décoder les comportements actuels et encoder les nouveaux. Tous les moyens sont bons. Peu importe votre budget. Questionnaires quantitatifs, social listening, avis Google, retours clients, commentaires sur les réseaux sociaux, données e-commerce… La connaissance de vos cibles doit devenir votre priorité.
Laisser les autres parler à tout le monde, dialoguer plutôt avec quelqu’un
C’est un fait, l’écoute est au cœur de la démarche éditoriale. Elle alimente l’approche du contenu pour renseigner notamment les typologies de clients et comprendre la nature de la tension concurrentielle (quels sont, par exemple, les besoins inassouvis par la concurrence). Mais si les données sont des ressources précieuses, il s’agit de garder à l’esprit que leur accumulation inconsidérée n’est pas une fin en soi. Au risque d’en faire une source de mauvaises idées.
Je suis né un 17 décembre, ça fait de moi un Sagittaire. Apparemment, comme Brad Pitt, Woody Allen et les 650 millions de Sagittaires dans le monde, je suis susceptible, audacieux, généreux et impatient. C’est manifestement absurde (ok, peut-être pas la partie ‘susceptible’). Pourtant, cette pratique qui consiste à transformer des cohortes entières en un profil universel semble convenir à beaucoup de responsables marketing. Je lis souvent que la génération Z est responsable, ne se soucie pas des questions d’argent, déteste la publicité. C’est peut-être vrai pour certains d’entre eux. Comme pour mon père. Mais baser sa communication sur une moyenne amalgamée de 20 millions d’individus (en France, source : Insee), c’est passer à côté de la richesse et de la nuance qui vous permettront de créer un lien de proximité avec vos cibles. Quand on essaie de parler à tout le monde, on finit par confondre ‘monologuer’ et ‘engager une conversation’. Effet papier-peint garanti.
Le contenu éditorial que vous proposez, ce ne sont pas des archétypes client définis par des études réalisées en laboratoire qui vont le lire mais de vrais êtres humains, dans leur quotidien.
Être soi-même
« Je veux un style soutenu mais pas germanopratin. Une tonalité jazzy, moderne. »
Demande farfelue ? 🤔 Pas tant que ça. Le tout est de se mettre d’accord sur ce que vous mettez précisément derrière ces mots. C’est une étape cruciale du dialogue avec celles et ceux qui produiront votre contenu. Au fil de votre site web et de vos publications, le mode d’expression que vous impulserez ainsi participera en effet à définir les contours de la personnalité de marque que votre contenu éditorial incarnera. Il en va de votre capacité à établir votre unicité et à humaniser votre marque - de l’humain, toujours de l’humain.
Là encore, la vraie question qui point derrière ces considérations exécutionnelles est d’ordre stratégique.
D’une part, cela consiste à savoir si ces éléments, à terme identitaires, sont fidèles à ce que vous êtes vraiment, on parle ici de cohérence de marque. Histoire, héritage, valeurs, vision de marché, mission, etc. sont autant de dimensions qu’il s’agit de définir et maîtriser en amont de toute considération éditoriale. Vous avez déjà acté tous ces fondamentaux ? Profitez alors de la mise en place de votre stratégie éditoriale pour les remettre en perspective et valider une éventuelle évolution souhaitable de votre plateforme de marque. Éviter des débats, avouons-le parfois chronophages, en se passant de cette étape ne vous fera pas gagner de temps : quand on se connaît mal, on se vend mal.
D’autre part, il s’agit de s’assurer que l’histoire que vous avez envie de raconter et la façon dont vous la raconterez vous permettront de vous distinguer face à la concurrence. Sont en jeu ici vos capacités d’émergence et de différenciation. Que disent vos concurrents ? Comment le disent-ils ? Qu’avez vous à dire qu’ils ne disent pas ou moins bien ?
En résumé, pour reprendre les mots du général Sun Tzu dans L’art de la guerre :
« Connaissez l’ennemi et connaissez-vous vous-même ; en cent batailles vous ne courrez jamais aucun danger. »
Reste alors à concentrer tous ces faisceaux de connaissance pour en faire une histoire simple (pas simpliste) et intelligible. C’est cette histoire qui nourrira la créativité de vos partenaires (suivez mon regard 👀) et inspirera un angle éditorial pertinent pour vos cibles.
Prendre parti
Pour intéresser les gens, il faut commencer par éviter de les ennuyer à mourir.
En matière de stratégie, la simplification à l’extrême ne paie pas. Les vraies gens sont complexes, nuancées, ambigües, dans le temps et dans l’espace. Je ne suis pas le même au travail ou en famille, devant un écran ou à la boulangerie, à 7h (je suis grincheux quand je viens de me lever) ou à midi (je suis aussi grincheux quand j’ai faim), en 2019 ou en 2021.
Le nerf de la guerre est de comprendre qui ils sont vraiment. Il en va de l’efficacité de l’art de la stratégie : pertinence des messages de communication et adaptation des contenus proposés par la marque à l’état d’esprit du moment et à la sensibilité de l’époque (c’est le fameux concept du Zeitgeist formulé par le philosophe allemand Johann Gottfried von Herder au XVIIIè siècle).
Bien sûr, le monde instantané et hyper-connecté que nous offrent les réseaux sociaux est une opportunité. Celle de décloisonner l’écoute et la parole, d’inspirer des conversations entre entreprises et clients, marques et consommateurs ; et ainsi de créer des relations vibrantes et durables. L’écoute et l’interprétation dirigent la pensée stratégique et le tempo des actions de communication.
Il n’y a pas de recette miracle pour une bonne stratégie, ce n’est ni de la magie ni une science. Simplement l’expression de votre volonté de chef d’entreprise et de capitaine de marque de préparer le voyage avant de débuter l’exploration de terres inconnues.
La stratégie est le compas qui guidera vos décisions et assurera la cohérence de toutes vos actions. Un compas donne une direction sans les fioritures du TomTom. La célébration de la simplicité et de l’univocité face à un monde de complexité. Tels les meilleurs interprètes, véhiculer le sens, ce qui compte vraiment, plutôt que traduire littéralement.
Enfin, méfiez-vous de la voie du milieu. La médiocrité est le véritable ennemi de la stratégie. L’évidence et la vacuité n’ont jamais permis de se différencier. Laissez-les aux autres, ainsi que l’indifférence des cibles qui va avec. La stratégie est une prise de position qui engage votre entreprise et sa marque. Mieux qu’un positionnement. Oui, vous risquez de vous aliéner probablement une partie de votre cible mais de toute façon, bonne nouvelle, l’histoire du marketing nous prouve qu’il est impossible de se mettre tout le monde à dos. Les Crocs ont été ringardes pendant des années avant de devenir les chaussures les plus cools de l’année 2020. Il ne me reste plus qu’à en convaincre ma femme. Après tout, c’est à cela que sert le contenu éditorial au service d’une stratégie assumée : lancer le débat.
Ou comme le dit Robert Louis Stevenson dans L’île au trésor :
« La lâcheté, dit-on, est contagieuse ; mais la discussion, au contraire, donne du courage. » (Traduction par Deodat Serval/Théo Varlet. Nelson, 1926 (p. 35-42).
Pour aller plus loin
L’art de la guerre - Sun Tzu, Vème siècle avant Jésus Christ
Les nouveaux défis du brand content - Thomas Jamet, Pearson, 2018
L’archipel français - Jérôme Fourquet, Editions du Seuil, 2019
Brand Content - Les clés d’une stratégie éditoriale efficace et pérenne -Daniel Bô / Pascal Somarriba, Dunod, 2020