Vous ne pouvez pas être passé·e (😁) à côté... L'écriture inclusive est partout ! Et elle déchaîne les foudres et les passions. Quand on aborde cette question, il y a immédiatement les personnes qui rejettent en bloc :
Ah non, hein, pas d'écriture inclusive !
Invoquant comme raison, au choix : ce n'est pas conforme aux préceptes de l'Académie française, ce n'est pas lisible, c'est un truc de féministes révolutionnaires et les féministes, très peu pour nous, hein, restez donc à vos places mes bonnes dames !
L’écriture inclusive, c’est le fait de refuser la règle du “c’est le masculin qui l’emporte”. C’est donc afficher simultanément les formes féminine et masculine d’un mot par différents moyens. On dira/écrira par exemple “lecteurs et lectrices”, “lecteur·rice·s”, ou “lecteurices”. C’est aussi privilégier un accord de proximité : “les lecteurs et les lectrices sont attentives”. Mais ce qui crispe particulièrement, c’est ce fameux point médian que l’on voit fleurir au milieu de mots… En témoigne le premier résultat affiché par Google lorsque l’on cherche “écriture inclusive” extrait du site du Ministère de l’Éducation Nationale qui a un avis plus que tranché :
Et moi, quand un phénomène hérisse à ce point les poils (féminiiiiste !) de tout le monde, il m'invite forcément à m'interroger. Ici, l'idée n'est pas de donner mon avis sur l'écriture inclusive mais de questionner son usage dans nos métiers de communicants. Et de nourrir le débat en m'intéressant à la lisibilité des textes que vous lisez sur le web. Ou que vous écrivez pour vendre des produits ou des services, travailler votre notoriété ou vous référencer sur les moteurs de recherche.
Afin de savoir de quoi l'on parle, faisons un petit détour par l'histoire du mot inclusion, qui va vous faire lever un sourcil – ou deux.
Je me souviens de cette intervention lors de la première édition de Kontinüum, le colloque organisé par l'association Kontnü. Nicolas Mantran, designer graphique, fondateur du Studio D'ailleurs, avait évoqué les questions soulevées par l'utilisation de l'écriture inclusive pour l'expérience utilisateur sur le web. Je suis donc allée l'interroger pour vous partager ses réflexions, et nourrir les vôtres, par la même occasion.
🎙L'avis de Nicolas Mantran
Comment est-ce que la question de l'écriture inclusive va intervenir dans ton travail d'UX Designer ?
Nicolas : La plupart du temps, je produis des interfaces pour mes clients et clientes et je glisse d'emblée de l'écriture inclusive sans trop prévenir. Je pose ça comme ça, je regarde un peu leur réaction. Et souvent, quand il y a une reprise en main de ces maquettes, l’écriture inclusive disparaît. Parce que c'est encore trop tôt, finalement, ou alors ce n’est pas encore admis. Disons que ça fait peur. Je ne pense pas que les gens soient crispés parce qu'ils sont formellement contre cette forme d'écriture, mais je pense que c'est parce qu'ils ont peur que ça crée du débat, qu'il faille en parler ou qu’il faille prendre une décision là-dessus. Aujourd'hui, j'ai l'impression que c'est de plus en plus crispant comme sujet. Moi-même, avant d'écrire “contributeur·ices”, j’hésite à mettre un point médian.
Peux-tu nous faire un topo sur les moyens de l'écriture inclusive ? On parle beaucoup de point médian, mais il y a aussi les noms épicènes, c’est ça ?
N : Il y a le point médian mais l'écriture inclusive ne se limite pas à ça.
Les noms épicènes sont clairement des nouveaux mots, des néologismes. C’est par exemple écrire “distributeurices” ou “contributeurices” sur une interface, c'est un peu osé ! C'est encore perçu comme de la provoc aujourd’hui.
👉 Épicène ? Vous avez dit épicène ? Faisons une petite pause pour découvrir ce mot…
Après, l'écriture inclusive passe aussi par la féminisation des titres, des métiers. Par exemple, je travaillais pour un plombier à vélo. Dans la communication, je parlais des plombières. En l'écrivant, ça me faisait un peu rire alors que ça ne devrait pas me faire rire, parce que c'est un titre. Et je suis allé vérifier, en fait ça se dit bien « plombière » sauf que ce n'est pas du tout répandu.
Il y a aussi des problèmes dans la féminisation des titres. Par exemple, le mot « entraîneuse » n'a pas du tout le même sens que le mot « entraîneur », il a une connotation péjorative ou sexuelle.
N : Oui, c'est vrai, c'est un fait, mais je ne me suis jamais confronté à ce souci-là pour l'instant. Dans cette situation-là, le plombier a accepté plombière. Et en fait on voit qu'il y a pas mal de gens qui ne bloquent pas du tout sur cette écriture qui n’est même pas de l'écriture inclusive. C'est juste un équilibre masculin-féminin quand on parle ou quand on écrit.
Et l’accord proximité, tu en fais quoi ?
N : Il est quand même assez rare, finalement. C’est souvent quand je nomme un titre que l'écriture inclusive rentre en jeu, et que là je me pose un peu la question.
Est-ce qu’il peut y avoir des soucis techniques liés à l’utilisation des parenthèses ou du point “basique” ?
N : Le point basique ça pose soucis dans le sens où si on colle un point au milieu d'un mot ça va être détecté comme un nom de domaine. Par exemple, un mot comme “entraineur” qui va finir par “.se” va être détecté comme étant “entraineur.se” le site d’un entraineur suédois. On a le même problème avec le “es” espagnol, pas mal de navigateurs vont le détecter comme une url.
Pourquoi pas les parenthèses alors ? On en voit souvent sur les cartes d'identité, par exemple “né(e)”.
N : Alors ça c’est de l'écriture inclusive à l’ancienne, si je puis dire, qui est appliquée depuis 20, 30 ans et qui est considérée comme normale. C'est assez intéressant de voir qu’une institution qui s'oppose à l'écriture inclusive un peu moderne (au point médian) met en place elle-même une forme d'écriture inclusive. Je dis “à l'ancienne” parce que symboliquement, c'est considérer que l’accord féminin est entre parenthèses, et donc optionnel. Les écrits féministes dénoncent la parenthèse parce que c'est mettre entre parenthèses l'inclusion des femmes. Donc, il faut aller au-delà de ça, d'où l'idée du point médian. Je suis persuadé que le point médian va disparaître parce que c'est une étape par laquelle on passe actuellement qui n’est pas au point – sans mauvais jeu de mot -. Ce n’est pas encore abouti. Je pense qu'on va finir par accepter des néologismes, des nouveaux mots, mais bon ça peut prendre 10 ou 20 ans, une génération. Il n’y aura plus de soucis de lecture de la part de navigateurs, de lecteurs d'écran, ce sera juste des nouveaux mots qu'il faudra accepter dans la langue française.
En rédaction web, il y a un certain nombre de règles à respecter : faciliter la lecture sur écran, avoir des phrases courtes, des paragraphes courts, etc. Et si on passe soit par le point médian (utilisateur·rice·s), soit par un dédoublement (utilisateurs et utilisatrices), forcément ça rallonge. Quel est ton avis là-dessus ?
N : On peut trouver des alternatives épicènes, c'est-à-dire que, au lieu de dire “étudiants et étudiantes” on pourrait simplement dire “élèves”. Si on réfléchit bien à la langue française, elle est assez développée pour que l’on trouve souvent des synonymes qui soient épicènes et qui évitent la double flexion et qui évitent les néologismes et qui évitent le point médian. En fait il y a plein d’outils comme ça qui sont déjà existants, qui sont déjà dispo pour faire un langage inclusif, il faut juste savoir s'en servir et y penser. Après, ça reste une vraie démarche qui est politisée, clairement, de ne pas accepter le masculin comme étant l'accord grammatical par défaut.
Après, tu parles de langage inclusif pour englober les hommes, les femmes, les personnes non-binaires, non-genrées. Mais on parle aussi d'inclusion quand on parle de handicap, et le point médian, par exemple, est un problème vis-à-vis des dyslexiques. Quand on est militant pour une cause, on essaie de prôner une universalité, une inclusion globale. Et mettre un point médian, ça rejette de fait.
N : C’est un fait qu’il ne faut pas ignorer. C'est pour ça que je pense que le point médian un jour va disparaître, parce ce qu’il pose problème dans la lecture, y compris pour les personnes non-dyslexiques. Après, j'ai quand même des retours positifs, une amie dyslexique qui au début avait un peu de mal à lire des mots avec des points médians qui maintenant sait comment ça fonctionne et a pris le pas, tout simplement. Après, moi, je trouve qu'il y a une certaine mauvaise foi dans le brandissement de cet argument de « ce n’est pas inclusif, au contraire ça porte très mal son nom parce qu'il y a plein de personnes dyslexiques qui ont des handicaps visuels, qui lisent encore moins bien qu'avant à cause de ces formulations-là ». Je trouve que c'est un peu facile d'utiliser cet argument-là alors qu'il reste encore énormément d'efforts à faire, notamment au niveau de l'Éducation nationale, pour inclure, avec des programmes spéciaux, les personnes qui sont dyslexiques. Passons sur ce sujet-là parce que c’est un avis très personnel, mais oui, c'est encore problématique, ce n'est pas abouti.
Selon toi, c'est une étape vers une plus grande inclusivité du langage...
N : Oui, on n'est clairement pas arrivés à une solution idéale aujourd'hui, avec l’écriture inclusive. Eliane Viennot en parle bien, elle a beaucoup écrit sur le sujet, et est, elle aussi, persuadée que le point médian va disparaître, que c'est encore un chantier en cours, qu’il faut l'expérimenter, il faut passer par là, pour justement trouver la solution.
Et du coup, tu as beaucoup de clients qui, au final, gardent le point médian ?
N : Non, il n’y en a pas beaucoup. Les gens sont réfractaires encore à cette formulation. Mais je comprends, moi c'est vraiment une démarche du quotidien d'insister un peu là-dessus. Souvent, les clients et les clientes vont dire OK pour un titre, OK pour une formulation un peu marketée, justement parce que, vu que c'est marqué comme démarche, tu véhicules aussi un peu ton identité, ce n’est pas anodin.
Par contre, pour des longs textes, on en retrouve assez rarement. Moi, je le vois dans certains médias de niche. Je le vois évidemment dans la communication d'associations (newsletters, flyers…) qui ont vraiment une démarche politisée. Dans les médias grand public, beaucoup moins, et ça dépend des journalistes qui se l'approprient surtout. Il y en a une qui emploie très bien l'écriture inclusive, c'est Titiou Lecoq de Slate : c'est hyper naturel de lire ses newsletters, tout est en inclusif mais on ne le voit pas. De temps en temps, effectivement, il y a quelques mots qui utilisent le point médian, mais ça reste une à deux fois sur toute une newsletter.
Donc pour toi, la question de l'écriture inclusive a tout à fait sa place dans une charte éditoriale, dans tous les cas, c'est une question qu'il faut poser.
N : Il faut la poser ! Si ça doit être charté il faut vraiment que les différentes personnes qui rédigent les contenus se mettent d'accord sur quand l'utiliser. Est-ce qu'on ne l'utilise que pour les titres ou partout ? Est-ce qu'on l’utilise dans nos newsletters uniquement ? Et comment on l'utilise ? Qu'est-ce qu'on privilégie ? Est-ce qu'on limite l'utilisation du point médian ou est-ce qu’on y va ? Je pense qu'il faut ajuster plein de curseurs pour savoir comment l'utiliser, parce que c'est un peu un peu sauvage, si je puis dire, aujourd'hui, on voit vraiment des formulations qui vont dans tous les sens. En fait, l’écriture inclusive se cherche encore.
Parfois, le mot est tellement long à cause des points médians, ça rend la lecture encore plus compliquée. Est-ce qu’il y a une règle, un seuil du nombre de caractères qu'il faudrait mettre avant ou après un point médian ?
N : Il n’y a pas vraiment de règle, on reprend la formulation avec le suffixe féminisé. Cela va dépendre de comment les gens s’approprient le langage, c’est assez différent d’une personne à une autre.
Mais après, ce qui est intéressant, c'est que plus il y a de marques qui vont l'utiliser ou qui vont faire l'effort, plus on va lire avec cette écriture, plus ça rentrera dans le lexique mental et plus ça deviendra naturel...
Ce qui est marrant c’est qu'à force, moi ça me choque de lire des textes qui ne sont pas inclusifs, ça me saute aux yeux !
🤗 Merci Nicolas pour cet échange plus qu'instructif !
Alors...
Le point médian, une étape ? Peut-être. L'écriture inclusive qui se cherche ? Certainement.
Je pense surtout qu'aujourd'hui une stratégie éditoriale ne peut pas faire l'impasse sur cette question. Elle mérite forcément réflexion. Une marque doit décider, en amont, de ce qu'elle fait de l'écriture inclusive, comme elle doit décider si elle vouvoie ou elle tutoie ou du sort qu'elle réserve aux emojis 🙃 .
L'écriture inclusive est un outil pour marquer un positionnement. Afficher des valeurs. C'est une solution formidable pour s'adresser à une pluralité de cibles. Les techniques de l'écriture inclusive sont des ressources verbales et textuelles qui permettent aux marques de démontrer leur engagement. Et si c'est le cas aujourd'hui, cela ne le sera pas forcément demain. Car la très faible utilisation de ces techniques dans la communication actuelle permet aux entreprises et organisations qui les utilisent de se différencier.
Mais si aujourd'hui notre œil tique à la vue d'un point médian, si notre oreille se dresse à l'audition d'un "collaborateurices", je suis convaincue que c'est par l'usage répété de ces outils que leur emploi ne marquera plus un positionnement, il deviendra la normalité. Car oui, toujours, dans le langage c'est l'usage qui fait loi. À force d'utiliser certaines tournures, certains mots, certains sens de certains mots, la langue évolue. Et même l'Académie française finit par s'y plier ! Et quand l'usage de l'écriture inclusive finira par s'imposer, ou du moins un usage qui fait preuve de davantage d'inclusion, les marques devront trouver d'autres outils pour se différencier.
Pour moi, un autre frein majeur auquel se heurte aujourd'hui l'utilisation de l'écriture inclusive en marketing résulte de ce même usage qui fait loi. Prenons l'exemple d'une rédactrice web qui souhaiterait améliorer le référencement de son site sur Google pour développer son activité. Elle sélectionne des mots-clés à positionner selon les requêtes effectuées par les utilisateurs sur le moteur de recherches. Or 4400 personnes recherchent chaque mois "rédacteur web" contre 720 pour "rédactrice web". Que lui conseiller ? Écrire "je suis rédactrice web" et se couper de la possibilité de profiter de la visite de 3680 internautes sur son site ou écrire "je suis rédacteur web" en reniant totalement son genre ?
– Pour info : "rédacteurice web" fait l'objet de 0 requêtes par mois 😐 –
D'où la fameuse expression du serpent qui se mord la queue :
Les internautes cherchent "rédacteur web" > Les rédactrices web utilisent le mot-clé "rédacteur web" pour gagner en visibilité > Les internautes, lisant partout "rédacteur web", ne se posent pas la question et cherchent sur Google "rédacteur web" > et ainsi de suite… 🐍
C'est exactement la même problématique que pour les mobile homes dont je discutais il y a quelques années dans cet article. Une question insoluble pour moi, mais pour laquelle je serais heureuse d'avoir votre avis.
En attendant, si vous voulez faire rentrer l'écriture inclusive dans votre quotidien, voici quelques outils :
Si vous souhaitez écrire en inclusif mais que vous avez un doute sur le comment, un dictionnaire collaboratif pour écriture inclusive existe ! 👉 https://eninclusif.fr/
Si vous voulez faire un point médian, le raccourci pour macOS est Alt + Maj + F
Si vous avez un PC avec un pavé numérique, appuyez sur Alt, puis successivement sur les touches 0, 1, 8, 3 puis relâchez la touche Alt. Ou achetez un Mac 😈
Je vous renvoie vers cette ressource de Anne Vervier qui résume bien les techniques de l'écriture inclusive ainsi que les stratégies de remplacement auxquelles vous pouvez recourir sans trop de difficultés.
Et je ne peux pas vous laisser sans vous conseiller grandement la lecture de cet article qui traite la question du point médian sous un éclairage scientifique.
Réfléchir à cette question m'aura fait m'interroger sur mes propres pratiques. Chez Rédactographe, nous n'utilisons pas systématiquement l'écriture inclusive. Ce serait aujourd'hui l'occasion de changer les choses, non ?
Bonne journée à tous·tes !
Dernièrement chez Rédacto :
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