L'ennui naquit un jour de l'uniformité
Ou comment communiquer différemment en usant des mêmes mots ? 🤨
Ce mois-ci, c’est Marine, directrice de création chez Rédactographe, qui vous écrit ces quelques mots 👋
Peut-être parce que je baigne dedans. Peut-être parce que les mots qui vendent font partie de mon quotidien. Peut-être parce que les dessous de la création éditoriale n’ont plus vraiment de secrets pour moi, mais depuis quelques temps je fais une overdose.
Les mots sont partout. Chaque marque, chaque entreprise communique. Sous chaque logo se déploie une signature de marque. Derrière la description de chaque produit un storytelling. Derrière chaque accroche, chaque wording, toujours la même chose. Partout, les mêmes mots, les mêmes promesses, les mêmes tournures. Je fais un burn-out de baselines. Je ne peux plus les voir.
Alors aujourd'hui, je voulais vous partager un questionnement, plus que des réponses.
En lisant le dernier livre de Sébastien Bailly (qui apporte, lui, des réponses intéressantes), j'ai retenu cette citation qu'il partage, de Antoine Houdar de la Motte (écrivain et dramaturge français du XVII-XVIIIème siècle, je l'ai découvert au passage) :
L’ennui naquit un jour de l’uniformité
C’est donc de là que viendrait ma lassitude ? De ces mêmes mots tellement employés qu’ils en deviennent galvaudés ?
Bien-sûr, ne mettons pas tout le monde dans le même panier.
Il existe des marques créatives. Des marques à la communication différente et différenciante. Mais le constat est là : quand une bonne recette est trouvée, elle est usée jusqu’à ce qu’elle en devienne indigeste. Et d’ailleurs, combien de briefs contiennent comme demandes de coller aux opérations de communication d’une autre marque ?
Je veux une vidéo “à la Brut”
Comment dire autrement sans dire autrement ?
Aujourd'hui, la disruption guette chaque coin de rue. Aujourd'hui on casse les codes, on ose. Aujourd'hui, l'audace est un mot dans toutes les bouches.
Et même chez nous. 😬 👇
Pour exister, quand on crée une entreprise ou qu'on fait vivre une entreprise existante, il faut se positionner dans un univers concurrentiel. Ne pas faire comme les autres. Afficher une différence. Cela passera par les valeurs, les procédés de fabrication, la typologie des produits, l'étendue de la gamme, bref : trouver quelque chose que l'on ne fait pas comme ses concurrents et l'afficher.
Nous construisons donc souvent notre communication "contre" : nous sommes les meilleurs, nous sommes les seuls, nous sommes les premiers.
Et chaque communication comprend les mots (rayez la mention inutile) : oser, innover, autrement, audace, sortir des sentiers battus,… et j’en passe !
Car pour dire que l'on innove, de quels moyens lexicaux disposons-nous ? Le lexique, c'est ce dictionnaire que nous avons tous dans nos cerveaux. Ces mots dans lesquels nous pouvons puiser pour exprimer une idée, diffuser un message.
Sébastien Bailly – toujours lui – recense les différentes recherches effectuées autour du nombre de mots maîtrisés par un locuteur lambda et nous livre, parmi les résultats les plus optimistes :
L’adulte cultivé possèderait un vocabulaire de plusieurs dizaines de milliers de mots.
Plus on maîtrise de mots, plus on peut afficher de la nuance. Mais dans la communication, l'essentiel est de parler un langage qui sera saisi par notre cible. Et parfois, trouver un terme avec la bonne nuance mais appartenant à un registre loin de celui de nos consommateurs nuit à relation que l'on entretient avec eux.
Donc on se retrouve à utiliser les mêmes mots que tout le monde, parce que ce sont des mots que chacun maîtrise, qu’ils sont porteurs d’un univers référentiel déjà bien habité.
Paul Eluard commence sont poème Pouvoir tout dire par ces vers :
Le tout est de tout dire et je manque de mots
Et je manque de temps et je manque d'audace
Dans le stock lexical auquel nous avons donc accès pour communiquer, nous sommes forcément limités : et pour dire que nous faisons "autrement", nous disposons des mêmes mots que nos concurrents. Est-ce dans leur combinaison que nous pourrons marquer notre différence ?
Les effets de mode, bonne ou mauvaise chose ?
Au final, n'est-ce pas rassurant, d'être comme tout le monde ? Est-ce que le consommateur n'a pas cette envie, d'être rassuré ? De savoir où il va ? De comprendre les codes ?
Casser les codes à tout prix, n'est-ce pas rompre une relation de confiance que l'on entretient avec sa cible ?
Ce montage est édifiant :
Les marques qui ont communiqué pendant la crise sanitaire, pour conserver justement ce lien, ont utilisé les mêmes artifices, les mêmes mots pour au final devenir quasiment similaires. Le même message.
Ne pas brusquer. Donner un air familier pour pouvoir rassurer. Se glisser dans un moule pour refaire ad nauseam les recettes qui fonctionnent, qui ont fait leur preuve. On ne va pas réinventer la roue, n’est-ce pas ?
Et quand on veut faire un pas de côté, il n'y a rien de plus difficile que de trouver le bon équilibre entre le nouveau et le rassurant, la tendance et la disruption, le déjà-vu et le ça-va-trop-loin.
Comment, en tant que communicants, pouvons-nous nous positionner ? Je pense réellement que l'art de la nuance, notamment dans les mots employés, se joue dans les réflexions stratégiques que nous abordons en amont de toute opération de communication : qui sommes-nous ? pourquoi sommes-nous là ? que vendons-nous ? à qui ? quels objectifs ? quels concurrents ?
Chaque point d'une stratégie donnera un ancrage particulier à chaque mot de la communication. Et si ce sont les mêmes mots que les autres, mais utilisés à bon escient, pourquoi s'en priver ?
Le pouvoir de la création ne réside pas dans les mots. Mais dans la façon de les faire danser ensemble.
👉 Je vous encourage à lire, donc, Maîtriser les techniques rédactionnelles de Sébastien Bailly. On y apprend / consolide plein de choses intéressantes
👉 Je vous mets le lien vers un article que j’avais rédigé il y a quelques mois sur la rédaction web qui manque assurément de créativité.
Sinon, ce mois-ci chez Rédacto :
Ana a réfléchi à ce qu’est un bon contenu de marque
Nous avons exploré l’histoire des mots voyage et animal sur Instagram
Nous avons découvert les origines des expressions Franchir le rubicon et L’habit ne fait pas le moine. Et ça nous a forcément mis en joie !
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